Droits et Santé Sexuels et Reproductifs au Sénégal : Une Lutte pour la Santé et la Dignité des Femmes

Le paradoxe sénégalais

Alors que le Sénégal s’engage dans des réformes sociales et économiques, les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) demeurent un terrain miné de contradictions. Le pays, signataire du Protocole de Maputo, continue de restreindre l’accès à l’avortement, une pratique pourtant nécessaire pour sauver des vies et garantir la dignité des femmes. Chaque année, des milliers de Sénégalaises sont confrontées à des dilemmes insoutenables, entre avortements clandestins, stigmatisation sociale et incarcération. Cet article explore les racines de ce paradoxe, les drames humains qu’il engendre, et les pistes possibles pour une réforme adaptée au contexte sénégalais.

1. Une législation ancrée dans le conservatisme

Les fondements juridiques

Au Sénégal, l’avortement est interdit par le Code pénal (article 305), sauf pour sauver la vie de la mère. Cette restriction repose sur des considérations morales et religieuses, perçues comme le socle de la stabilité sociale. Cependant, ce cadre législatif ignorerait les réalités sanitaires et les droits fondamentaux des femmes.

Protocole de Maputo : Une demi-mesure

En ratifiant le Protocole de Maputo en 2005, le Sénégal s’est engagé à promouvoir les DSSR, y compris l’accès à l’avortement dans certaines circonstances. Mais en émettant des réserves sur l’article 14 (en cas de viol ou d’inceste

2. Des drames humains en chaîne

Avortements clandestins : Un fléau silencieux

Selon des données de l’Institut Guttmacher, près de 51 500 avortements clandestins sont pratiqués chaque année au Sénégal. Ces procédures, souvent menées dans des conditions dangereuses, provoquent des complications graves : hémorragies, septicémies, infertilité, voire décès. Par exemple, Fatou (nom fictif), une jeune femme de 19 ans, raconte avoir eu recours à une infusion toxique de plantes, faute d’alternative légale ou médicale.

Les prisons, un miroir des inégalités

Nombre de femmes incarcérées pour infanticide ou avortement illégal sont issues de milieux vulnérables. Une enquête menée dans une prison dakaroise a révélé que 70 % des détenues concernées avaient agi sous la contrainte de la pauvreté ou à la suite d’un viol. Ces femmes, déjà victimes, deviennent les coupables dans l’œil du système.

La stigmatisation et le silence

Au Sénégal, la peur de la honte et de l’exclusion sociale empêche les femmes de demander de l’aide. Dans les zones rurales, où l’accès à l’information et aux soins est limité, le tabou autour des DSSR contribue à maintenir un cycle de silence et de souffrance.

3. Les acteurs du changement : Vers une lueur d’espoir

ONG et militants en première ligne

Des organisations comme ASBEF, en partenariat avec des acteurs internationaux comme l’IPPF, travaillent à sensibiliser les populations sur les DSSR. Leur plaidoyer a permis d’élargir l’accès aux contraceptifs, mais les campagnes en faveur de la décriminalisation de l’avortement restent confrontées à une forte opposition.

Les professionnels de santé : Entre éthique et loi

De nombreux gynécologues sénégalais témoignent des dilemmes auxquels ils sont confrontés. Le Dr. Seynabou Ndiaye, gynécologue obstétricienne, explique : « Nous voyons des femmes arriver trop tard, après un avortement clandestin raté. Dans ces cas, la loi nous lie les mains, et les vies se perdent. »

Une jeunesse mobilisée

Les jeunes générations, en particulier les étudiantes et étudiants sensibilisés sur les réseaux sociaux, s’impliquent de plus en plus dans la lutte pour les DSSR. Des collectifs féminins émergent pour briser les tabous et promouvoir un dialogue inclusif.

4. Défis culturels et religieux : Réconcilier foi et droits humains

Le poids des traditions

Dans un pays où la religion façonne les normes sociales, toute réforme touchant à l’avortement est perçue comme une menace aux valeurs traditionnelles. Des leaders religieux influents, tels que certains marabouts, s’opposent fermement à toute décriminalisation.

Les voix progressistes

Cependant, des figures comme Serigne Babacar Sy Mansour appellent à une réflexion plus nuancée. « Protéger la santé des femmes ne signifie pas abandonner nos principes, mais plutôt chercher des solutions respectueuses et adaptées, » a-t-il déclaré lors d’un forum interreligieux.

5. Quelle voie pour un Sénégal inclusif ?

Inspiration régionale

Des pays comme le Bénin et la Zambie ont récemment élargi les conditions d’accès à l’avortement, avec des résultats positifs en termes de santé publique. Le Sénégal pourrait tirer des leçons de ces expériences pour adapter sa législation.

L’éducation comme levier

Introduire l’éducation sexuelle dans les écoles est indispensable pour briser les tabous et prévenir les grossesses non désirées. Des programmes pilotes, comme ceux soutenus par l’UNFPA, montrent déjà un impact positif dans certaines régions.

Un dialogue national inclusif

Organiser des concertations entre acteurs religieux, professionnels de santé, ONG et décideurs politiques pourrait permettre de dépasser les clivages et trouver un compromis respectueux des sensibilités culturelles.

Une réforme pour sauver des vies

La décriminalisation de l’avortement et l’élargissement des DSSR ne sont pas des luxes, mais une nécessité pour protéger la santé et la dignité des femmes sénégalaises. Si les résistances culturelles et religieuses sont réelles, elles ne doivent pas occulter l’urgence sanitaire. Une réforme, accompagnée d’un dialogue inclusif et d’une sensibilisation accrue, pourrait marquer une avancée majeure pour les droits humains au Sénégal. La question n’est pas de savoir si le Sénégal doit agir, mais quand et comment.

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