Fonds COVID-19 au Sénégal : le grand déballage judiciaire a commencé

Par Alioune Dieng – Journaliste d’investigation

Dakar, 16 avril 2025

Ce qui n’était encore qu’un rapport d’audit en 2022 est devenu aujourd’hui un vaste chantier judiciaire. La gestion des fonds Force-COVID-19, estimés à plus de 1 000 milliards de francs CFA, refait surface dans l’actualité sénégalaise, et cette fois, les poursuites se précisent, les arrestations s’enchaînent, et la pression citoyenne ne faiblit pas.

I – Un fonds d’urgence historique, une opportunité historique de malversations

En mars 2020, face à l’arrivée brutale de la pandémie, le gouvernement sénégalais avait mis en place le Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la COVID-19. Ce fonds devait permettre de financer l’achat d’équipements médicaux, la distribution de vivres, l’appui aux ménages et le soutien aux entreprises. À l’époque, la nation faisait bloc, et les citoyens, confinés, espéraient un élan de solidarité.

Mais très vite, des alertes émanent de la société civile, des bénéficiaires et de certains élus : retards, livraisons incomplètes, bénéficiaires fictifs, surfacturations suspectes. Les interrogations deviennent soupçons, puis accusations.

II – Le rapport de la Cour des comptes : l’étincelle qui a tout déclenché

En décembre 2022, la Cour des comptes publie un rapport explosif. Le document révèle de nombreuses irrégularités financières, estimées à plus de 30 milliards de FCFA. En voici quelques exemples :

  • 2,7 milliards FCFA de surfacturation de riz au ministère du Développement communautaire ;
  • Des entreprises sans expériences, créées quelques mois plus tôt, ont bénéficié de marchés publics ;
  • Des dépenses injustifiées : achat de matériel médical sans preuves de réception, factures douteuses, etc.

III – Le temps de la justice : des arrestations retentissantes

En avril 2025, les choses s’accélèrent. La section de recherches de la gendarmerie mène plusieurs interpellations. Sont notamment cités :

  • Mamadou Ngom Niang, ancien DAGE du ministère des Sports ;
  • Mouhamadou Sène, ex-DAGE du ministère de la Jeunesse ;
  • Baba Hamdy Diawara, artiste et entrepreneur culturel ;
  • Abdoul Aziz Mbaye, communicateur traditionnel.

Tous sont poursuivis pour escroquerie sur les deniers publics, détournement de fonds, faux et usage de faux.

IV – Le cas des anciens ministres : vers la Haute Cour de justice ?

L’Assemblée nationale examine la possibilité de poursuites contre deux anciens ministres :

  • Mansour Faye, ex-ministre du Développement communautaire ;
  • Abdoulaye Diouf Sarr, ex-ministre de la Santé.

La commission des Lois pourrait autoriser leur traduction devant la Haute Cour de justice.

V – Une demande de vérité et de justice qui traverse toutes les couches de la société

Dans les marchés, les taxis, les foyers, le sujet est omniprésent. Des collectifs comme “Sunu milliards du rées” réclament justice, transparence et restitution. La société sénégalaise est unanime : il faut tourner la page de l’impunité.

VI – La nouvelle équipe gouvernementale sous pression

Le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont promis une gouvernance de rupture. Une cellule judiciaire spéciale anticorruption est en cours de création pour accompagner cette volonté.

Conclusion : Vers une nouvelle culture de la redevabilité ?

Au-delà du scandale, le Sénégal se trouve à un carrefour historique : réinventer sa gouvernance et restaurer la confiance entre citoyens et institutions. Le peuple attend la vérité. Et des comptes.

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