Par Alioune Dieng – Canal Banlieue
Date : 9 avril 2025
Lieu : Maison de la Presse Babacar Touré, Dakar
Organisateurs : Forum Civil & Convention des Jeunes Reporters du Sénégal (CJRS)
Thème : Appropriation de la stratégie « New Deal Technologique » du Sénégal
Objectif de l’atelier
Dans le cadre du projet ReCIPE, cet atelier visait à renforcer les capacités des journalistes sur la stratégie numérique « New Deal Technologique » (2025-2030), ses fondements, sa mise en œuvre et ses implications sur les droits numériques. Il s’agissait également d’analyser la gouvernance du numérique, la cybersécurité, et les défis liés à l’inclusion et la souveraineté numérique.
Intervention de Mme Aïssatou, Directrice de la Communication du Ministère du Numérique
Son intervention, très attendue, a permis d’éclaircir plusieurs zones d’ombre sur la politique numérique actuelle. Elle a répondu à une série de questions critiques posées par les journalistes, dans une posture d’ouverture et de pédagogie.
1. Cadre réglementaire
Mme Aïssatou a reconnu que le cadre juridique existant, notamment la loi de 2009 sur les données, n’est plus adapté aux évolutions technologiques actuelles. Une mise à jour est en cours, appuyée par le PR01 (Plan de Réforme n°1), qui prévoit l’adoption de nouveaux textes sur la souveraineté numérique, la protection des données et la cybersécurité.
« Ce n’est pas une révolution, mais une mise à jour du cadre existant. »
2. Plateforme de paiement unique
Elle a insisté sur la nécessité de centraliser les flux financiers publics pour garantir la traçabilité. Aujourd’hui, plusieurs services publics collectent de l’argent sans qu’il n’atteigne directement le Trésor. Le nouveau système vise à corriger cela grâce à une interopérabilité des services numériques.
« L’argent doit aller directement au Trésor, sans intermédiaires. »
3. Inclusion numérique
Mme Aïssatou a reconnu que l’accès aux technologies reste inégal. Des poches sans couverture réseau existent encore, notamment dans certaines zones rurales et transfrontalières. Elle a mentionné le Fonds de Développement du Service Universel pour résoudre cela d’ici 2026.
Elle a également évoqué des initiatives pour inclure les personnes en situation de handicap, avec des projets pilotes dans Dakar, Thiès et Kaolack, ainsi que la formation des femmes vulnérables au numérique.
« L’équité, c’est que même sans argent, on puisse accéder aux services numériques. »
4. Cybersécurité
Selon la Directrice, le Sénégal est quotidiennement attaqué, mais les services de l’État (CERT, Direction de la sécurité numérique) bloquent l’essentiel des menaces. Elle plaide pour un partenariat régional en cas de menace commune (ex : ransomware au Mali) et des centres d’alerte dans les banques et services critiques.
« Ce n’est pas qu’on ne nous attaque pas. C’est qu’on bloque. »
5. Souveraineté des données
La responsable a souligné l’urgence d’avoir un cloud souverain et une législation contraignante sur le stockage des données au Sénégal. Aujourd’hui, les GAFAM échappent à la loi sénégalaise, sauf si leurs serveurs sont hébergés localement.
« On ne peut pas contrôler ce qui est stocké chez Google. Il faut des lois et des serveurs ici. »
6. Alphabétisation numérique et inclusion linguistique
Elle a mis en avant un programme d’alphabétisation numérique en langues locales, intégré dans les Digital Factories, pour éviter que le numérique ne creuse davantage les fractures sociales.
« Nous n’allons pas continuer à évangéliser en français. Nous allons parler aux populations dans leur langue. »
7. Libertés numériques et protection des citoyens
Mme Aïssatou a reconnu les inquiétudes sur la surveillance, la collecte de données par les réseaux sociaux et les assistants vocaux. Elle appelle à une législation plus stricte sur le consentement numérique (opt-in, désabonnement, etc.), en gestation dans le nouveau texte sur la protection des données.
Réactions et perspectives
Les participants ont salué la transparence de l’intervention, tout en soulignant :
- La lenteur de la mise en œuvre des projets du SNV 2025, dont seule 12 à 17 % aurait été réalisée ;
- La nécessité de rapprocher les politiques des réalités sociales, notamment pour les jeunes, les femmes et les zones défavorisées ;
- Le besoin d’une communication proactive sur les menaces numériques et les avancées du New Deal ;
- Le risque de centralisation excessive au nom de la souveraineté, qui pourrait nuire à la liberté d’expression.
Cet atelier aura été un moment clé de dialogue entre pouvoirs publics et presse sur les enjeux du numérique au Sénégal. Il a permis de clarifier les engagements de l’État, de pointer les failles et retards, et surtout de rappeler le rôle crucial des journalistes dans l’appropriation populaire du numérique.
Le Forum Civil et la CJRS ont annoncé la publication d’un rapport de synthèse et la poursuite des actions de sensibilisation dans les régions.
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