Désordre budgétaire et manquements financiers : Ce que révèle l’audit des finances publiques du Sénégal (2019 – 2024)

Par Alioune DIENG

L’audit définitif de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques du Sénégal, couvrant les gestions de 2019 au 31 mars 2024, met en lumière une série d’irrégularités budgétaires, des écarts financiers troublants et une gestion opaque de la dette publique. Commandité dans le cadre du Code de Transparence dans la Gestion des Finances Publiques, ce rapport révèle une série d’anomalies qui suscitent des interrogations quant à la rigueur avec laquelle les finances publiques ont été administrées ces dernières années.

I. Des recettes fiscales sous-évaluées et des pratiques douteuses

Selon l’audit, les recettes fiscales du budget général ont globalement suivi une tendance haussière entre 2019 et 2023, atteignant un total de 13 929 milliards de F CFA. Cependant, plusieurs irrégularités ont été constatées :
Rattachements irréguliers de recettes : Des montants collectés sur une année donnée ont été artificiellement affectés à l’année précédente, faussant ainsi les comptes publics. En 2023, 131,04 milliards de F CFA ont été indûment reportés sur l’année précédente, réduisant artificiellement le déficit budgétaire affiché.
Restes à recouvrer sous-estimés : L’audit note que les créances fiscales non recouvrées s’élèvent officiellement à 408,2 milliards de F CFA, mais ce chiffre ne prend pas en compte 261,7 milliards de F CFA de créances douanières, portant le total réel à 669,9 milliards de F CFA.
Dépenses fiscales opaques : Alors que le Sénégal est censé évaluer annuellement les exonérations fiscales, le rapport du gouvernement n’inclut aucune donnée pour 2022 et 2023, en violation des règles de l’UEMOA.

II. Une explosion des dépenses publiques et des transferts douteux

Sur la période examinée, les dépenses publiques ont totalisé 21 007 milliards de F CFA, avec une progression annuelle moyenne de 9,3 %. Parmi les anomalies relevées :
Transferts massifs vers des entités non personnalisées (SNPE) : 2 562 milliards de F CFA ont été transférés à des services de l’État sans personnalité juridique, via des comptes de dépôt opaques.
Dépenses extrabudgétaires : Deux comptes en particulier, « CAP/Gouvernement » et « PDIES », ont été utilisés pour des décaissements massifs sans contrôle approprié. Le compte CAP/Gouvernement a enregistré 1 343 milliards de F CFA de transactions, tandis que le PDIES a absorbé 303 milliards de F CFA.
Utilisation illégale de la trésorerie publique : En 2023, des prélèvements de 407 milliards de F CFA ont été effectués sur les soldes créditeurs des comptes de dépôt et réaffectés à d’autres usages sans justification légale.

III. Une gestion de la dette publique hors de contrôle

L’un des points les plus alarmants du rapport concerne la dette publique, où l’audit met en évidence des pratiques troublantes :
Emprunts et déficits sous-déclarés : La dette réelle semble être largement sous-estimée. Par exemple, en 2023, les emprunts projets déclarés par la Direction de la Dette Publique (DDP) étaient de 435 milliards de F CFA, tandis que la Direction de l’Ordonnancement des Dépenses Publiques (DODP) déclarait 1 338 milliards de F CFA.
Tirages non enregistrés dans les comptes officiels : En 2023, 697 milliards de F CFA de prêts projets n’ont pas été inclus dans le tableau des opérations financières de l’État (TOFE), réduisant artificiellement le déficit budgétaire.
Surfinancement détourné : En 2023, une partie des financements extérieurs a été utilisée pour des dépenses non couvertes par le budget, ce qui remet en question la rigueur du cadre budgétaire.

IV. Responsabilités et implications politiques

L’audit souligne des fautes de gestion qui pourraient donner lieu à des poursuites judiciaires. Certaines pratiques, comme les décaissements hors cadre budgétaire et l’omission de dettes dans les comptes publics, relèvent d’une gestion discutable des deniers publics.

Rapport_définitif_sur_la_situation_des_finances_exercice_2019

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